Espèces d'Espaces - place de la Libération 71500 Louhans

Le

De 17h00 à 21h00

place de la Libération 71500 Louhans

71500 Sornay

Espèces d'Espaces

Avant-propos

Il est des lieux interlopes, des lieux consacrés, il en est où tous se croisent... Se hâtent à la chasse au temps, à l’efficacité, à la consommation. Aires de bitume, ères de béton. Espace public, espace privé, territoire commun ? Ces lieux sont un non-lieu. C’est un flux, un fleuve dont les berges réduites à la portion congrue ne retiennent que les improductifs. C'est lui que nous choisissons d'investir, non pas pour en briser l’écoulement mais, tel un rocher posé dans un torrent, pour y créer de nouveaux remous. Une femme noire, un homme blanc, deux chevaux de trait blancs, deux chevaux de selle noirs. Ce groupe crée la surprise, le surgissement poétique, l’enchantement du quotidien. Loin des hiérarchies, loin des castes socio-économiques, le spectacle se veut une faille, une brèche. Un courant d’air.

I - Espaces

Telle une théorie ensembliste détraquée, les centres sont désormais excentrés. Centres commerciaux, zones de bureaux, campus, salles de sport et surtout hypermarchés s’installent systématiquement en marge des villes. Utopie ou dystopie ? Acceptés car indispensables, ils sont périphériques mais centraux, décentrés, acentriques. Tous s’y croisent mais seuls y restent les exclus, qui ont d’autres nécessités que l’art : celle de la survie matérielle ou sociale, a minima. Autour de ces deltas, une zone plus étendue encore, une grande flaque amorphe, hors-norme, statique le jour et morte la nuit : le parking. Agora de béton bien muette, peuplée de véhicules qui ne véhiculent pas, d’automobiles immobiles. Alors ? Amener sur la rigueur du macadam la douceur de la terre végétale et des copeaux, opposer à l’hygiénisme de l’air conditionné la chaude odeur du crottin, exorciser le vacarme des voitures par la musique du galop.

II - Espèces

Se poser comme une évidence, sans rien à vendre ni acheter, montrer un autre temps : un temps long, un temps lent, celui qui se meut au rythme du souffle, au rythme du sang lancé dans les artères. Un temps animal, un temps humain. Un cercle arpenté, sans but si ce n’est celui d’être, d’ouvrir les yeux sur une beauté qui jamais ne cesse. Dessiner une courbe chaude sur le froid quadrillage. Relancer le mouvement. Regarder l’espace et en remarquer les bords, toiser le ciel debout sur le large dos d’un percheron, gratter un ventre rond et poilu pour échanger une attention, prendre le temps de regarder l’autre, non pas pour le juger / le jauger mais pour prendre conscience de l’espace qu’il occupe, de la force qu’il incarne par sa simple présence.

III - Disciplines engagées

L’espace urbain/périurbain, ajouré voire constellé de lignes de fuite est une simple surface, sans épaisseur. Y poser un cheval, souvent surmonté d’une cavalière (parfois voltigeuse), un camion de 3m60 de haut permet de lui donner une perspective autre que ... cavalière. C’est par le biais de la Haut-École (études équestres du rythme et du mouvement), de la Voltige de Cirque (travail essentiellement debout sur le dos d’un cheval au galop), de la Poste Hongroise (travail au pas et au trot sur deux chevaux côte à côte) ou encore de la Liberté (discipline qui consiste, n’est- ce pas un comble ? à demander à un cheval d’exécuter des Hgures sorties de son registre naturel pour les présenter dans un cadre spectaculaire), que nous donnons vie à cet échiquier dont nous sommes tous les pions. Pour circonscrire un espace dans ce maelström de bruits et de mouvements, nous utilisons le son : un décor à ouïr. Donner à entendre l’intérieur. Écouter la vitesse, l’accélération, le mouvement, suivre le tempo animal. Qui mène la danse ? Rythmes syncopés, stochastiques. Battements naturels. Le probable se frotte au chaos, le métronome devient coeur, dont l’amplitude est immense. Des parties musicales réalisées en direct à partir de captations des animaux, d’instruments de musique (à vent, percussion, cordes...), de lectures et chants composent la partition sur laquelle dansent les chevaux. Des objets invisibles sont frottés, heurtés : l’animal et sa cavalière deviennent archer, percussion. Le sol devient eau, herbes, roche, feuilles mortes. Ces sons sont modulés, déclenchés, transformés par les animaux. Microphones, gyroscopes, accéléromètres, stéthoscopes : des outils de mesure pour transmettre l’intérieur, le petit, l’étendu, l’occulte. Mesurer pour jouer, un jeu entre le mécanique et l’organique.

IV - Déroulement

Du déchargement des chevaux hors du camion jusqu’au départ, l’intégralité des 4h est mise en scène, ou plutôt mise en regard. Tout est donné à voir, tous les gestes assumés : le ramassage du crottin côtoie les séquences de Haute-École, la musique improvisée celle de l’installation du câblage. Nous travaillons, nous jouons, nous prenons soin, nous sommes. Nous présentons ainsi plusieurs facettes des conceptions du temps à travers nos différentes disciplines. L’accélération ou le ralentissement, l’empressement et la patience s’expriment par la voltige, la danse, la poste, conjuguées à des séquences polyrythmiques ou suspendues, cycliques ou flottantes. Le texte lui-même devient matière. Ce moment est doublé d’une présence dans un lieu herbé de la ville (un parc, la pelouse d’une cité...) que nous occupons, logeant dans notre camion, les chevaux broutant à proximité dans des paddocks aménagés par nos soins. Cette présence s’étale et donne à voir une autre compréhension du temps, de l’espace et surtout du vivre ensemble. Nous assurons ainsi le continuum et accompagnons l’espace public. Ouverts, autonomes, disponibles et accessibles.

V - Scénographie

Une piste circulaire de 13m de diamètre, simple structure d’acier et de bois, inscrite dans un cercle de 20m de diamètre délimité par 8 haut-parleurs, un camion blanc de 3,6 x10m qui sert à la fois d’attache aux 4 chevaux et de régie. Au total, 20 hauts-parleurs définissent l’espace destiné au public : il est englobé par une octophonie, tandis que 12 petites enceintes de contact (excitateurs) sont appliquées à même la piste, l’utilisant comme résonateur. Elles sont disposées en direction des spectateurs, perceptibles essentiellement à proximité. Épousant la rondeur de la piste, formant un cercle d’intimité.

VI Espèces d’Espaces

Le tissu social est bien abîmé, le cheval peut être la navette qui le ravaude. Si nous empruntons son titre au bel ouvrage de Georges Pérec, il ne s’agit pas d’une adaptation bien qu’il soit parmi les inspirations du projet : son livre témoigne aussi de la segmentation de l’espace en “pleins de petits bouts d’espace”. À la délimitation des lieux selon des fonctions (travail, commerce, loisirs, famille etc) correspond une équivalente rationalisation du temps, divisée selon le barême de nos montres. Paradoxalement, comme le note Hartmut Rosa, cette volonté d’efficacité mène à une “crise du temps” : le sentiment que le temps vient à manquer. L’écrivain Alain Damasio, dans son uchronie “La zone du dehors”, relève les frottements engendrés par la lutte silencieuse qui s’opère entre espace public et espace marchand, l’hypothèse qu’il n’y a plus réellement d’espace commun : les rues sont devenues les berges d’un flux humain... Car comme nous l’avions observé, dans ces zones résolument définies, déterminées, l’activité sociale réside pourtant car «tout est paysage» comme le disent les architectes Lucien & Simone Kroll. A l’inverse de la “spécialisation” des espaces, nous tissons une relation durable, globale, affective avec les lieux. Dans son essai sur les données immédiates de la conscience, Bergson observait déjà en 1889 ces comportements de la pensée qui finissent par faire loi et système, bien que le temps vécu n’ait pas un fonctionnement analogue à celui d’une horloge... Prendre le temps, et prendre place, est l’issue naturelle de cette réflexion. Prendre le temps, inviter à perdre son temps pour, peut-être, mieux le trouver, prendre place pour perdre pied ?

La musique : une scénographie à ouïr

La scénographie, minimale (piste, camion, hauts-parleurs) repose sur une diffusion sonore, une “scénophonie”. Multicanal et englobante, son interaction avec les chevaux accompagne ce parti-pris. Exprimer l’anticipation, l’attente. Traduire la proximité, l’horizon, la frénésie et la lenteur. De la rêverie à la danse, de la contemplation à la concentration. Accompagner la richesse des mouvements équins et ses fluctuations : polyrythmie et changements de temps, accélérations / ralentissements, répétitions et stochastique, en passant par le phasing cher à Steve Reich (décalage progressif de thèmes sonores similaires)... Les motifs rythmiques deviennent cercle, spirale, miroir, réguliers ou tremblotant. Une partition vivante. En interaction avec ces principes musicaux, les mouvements des animaux sont collectés, calibrés et transmis en temps réel à l’outil de composition sonore, puis interprétés afin que leur motilité devienne geste musical. Pour cela les chevaux sont équipés d’un ensemble de capteurs (accéléromètre / gyro- scope, capteurs de pression, microphone). Un stéthoscope est parfois appliqué. En émanent des volets musicaux distincts : la voltige et la poste hongroise et leur cadence régulière, la Haute-Ecole et ses variations, l’imprévisibilité et l’audace de la Liberté. Y confronter le temps mécanique, non pas pour l’imposer mais comme une grille de lecture en filigrane, qui nous permet d’en apprécier l’éloignement. Un guide peu autoritaire. A travers ces face-à-face, c’est l’élasticité, la relativité du temps que nous invoquons. Rendre tangible en somme, l’invitation bergsonienne à reconsidérer l’espace et le temps, au-delà de l’horloge et du mètre-étalon.

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