Conférence : Observer la nature en Égypte ancienne - Espace Culture, Université De Lille

Observer la nature en Égypte ancienne : illustrer l’invisible plutôt qu’expliquer le visible ?

Par Thomas Gamelin, Histoire, Archéologie et Littérature des Mondes Anciens (HALMA – UMR 8164), Université de Lille.

Sur les parois des temples ou sur celles des tombes, sur des papyrus ou sur des ostraca, la nature est omniprésente dans l’imagerie égyptienne. De l’observation des étoiles aux détails des silhouettes animales, les habitants de la vallée du Nil ont porté un regard attentif sur l’ensemble de leur environnement. Traitant d’une large gamme de sujets, les représentations, soutenues parfois par des textes, offrent aux chercheurs une possibilité de comprendre comment les Égyptiens percevaient les phénomènes naturels (comme la course du soleil ou l’inondation annuelle), distinguaient des espèces animales ou végétales (le mouflon est par exemple parfois différencié du bélier) ou encore comment ils notaient la singularité de certains comportements des êtres vivants peuplant les abords des villes et villages (à l’image du babouin scrutant le lever du soleil).

Observateurs talentueux, les Égyptiens n’ont absolument rien raté de ce qui les entourait et leurs connaissances de la nature étaient très développées. La vision égyptienne du savoir ne peut cependant pas être rapprochée de la démarche scientifique moderne, comme pourraient l’être certaines réflexions déjà présentes dans d’autres cultures antiques, dans le monde gréco-romain en particulier. En effet, l’observation de la nature dans l’esprit nilotique n’était pas inscrite dans un processus, fléché, partant d’abord d’un fait observable et qui déclenche ensuite un questionnement devant conduire enfin à une réponse (comme le détaille l’approche dite « inductive »). Dans la tête du savant égyptien, un phénomène naturel ou un comportement animal n’est pas une conséquence intégrée dans une suite logique potentiellement prévisible d’évènements ou de faits, mais il est une illustration dont la reconduction n’est pas assurée. Dans cette culture nourrie par les hiéroglyphes et la multiplication des images, l’observation ne mène pas, in fine, à une explication à ce que les Égyptiens ont constaté, mais elle permet plutôt de réfléchir à ce que cela signifie. Le monde terrestre est une fenêtre qui traduit le monde divin : les évènements quotidiens se déroulant dans le monde céleste (= mythologique) ont une répercussion directe dans l’environnement des Égyptiens. Ainsi, tout ce qui peut régir la nature n’a pour origine que l’autre monde, celui des êtres humains n’ayant au final qu’une importance secondaire.

Les prêtres (les intellectuels du Nil) ne pouvaient pas faire abstraction de la sphère divine pour commenter (sans réellement expliquer, ou à leur manière) l’univers égyptien puisque ce dernier n’était qu’un écho du monde des divinités. C’est par ailleurs toute la pensée égyptienne qui encourageait cette position, à l’image de la conception cyclique du temps qui favorise l’idée qu’un événement ayant lieu là-haut aura un parallèle légèrement modifié ici-bas, ce qui est en soit une réflexion bien éloignée de notre approche linéaire du calendrier et, plus globalement, du principe de l’action-réaction.

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