«Casino»
Avec Elise Courcol-Rozès et Fabienne Guilbert Burgoa
Commissariat: Équipe du CAC Brétigny (Zélia Bajaj, Milène Denécheau, Léana Doualot, Esther Gobin-Brassart, Elisa Klein, Danaé Leroy, Coraline Perrin, Marie Plagnol, Ekaterina Tsyrlina)
Galerie Francval d'Arpajon
12.01—23.02.25
«Casino» est une exposition en duo, réunissant Elise Courcol-Rozès et Fabienne Guilbert Burgoa. Nous l’avons conçue comme un espace ludique, incitant à s’affranchir des règles qui contraignent habituellement les relations aux œuvres. Nous souhaitons placer l’interaction au centre de l’exposition en proposant une expérience, au sens où le philosophe John Dewey l’entend, comme «une expérimentation, quelque chose qu’on fait, non quelque chose qui nous advient[1]». Selon cette définition, l’expérience consiste à «établir une connexion entre le fait de ressentir quelque chose et le fait de s’engager consécutivement dans une activité[2]». Dans cette exposition, les sensations provoquées par les textures, les couleurs et les formes des œuvres encouragent les visiteur·euses à dépasser le stade de la réceptivité pour interagir avec leur environnement. L’espace de pratique libre que les artistes ont conçu propose ainsi à chacun·e de consacrer du temps à créer en s’appropriant des matériaux laissés à disposition, mais aussi à partager des ressources.
Pour expérimenter une diversité de relations entre les objets (les œuvres), les sujets (les visiteur·euses) et l’environnement (l’exposition), les artistes jouent avec l’affordance, une notion théorisée par le psychologue James J. Gibson avant d’être empruntée par le design. Dérivée de l’anglais to afford qui signifie à la fois «permettre» et «offrir», l’affordance désigne la capacité d’un objet à évoquer ses utilisations possibles. Par exemple, une poignée peut suggérer de façon intuitive l’action d’ouvrir la porte, sa forme et son contexte faisant appel à un répertoire de gestes acquis. Ici, le design des œuvres est volontairement non-spécifique: elles n’ont pas de fonction unique, afin que leurs usages puissent sans cesse être réinventés.
Fabienne crée des espaces modulables, confortables et accueillants. Ses installations stimulent d’autres sens que la vue, souvent appréhendée comme la seule façon de percevoir un espace d’exposition. Dans un salon aux configurations inhabituelles, des éléments n’attendent qu’à être manipulés. Reste à inventer comment. Une chaise à bascule dont l’habillage est amovible est ainsi prolongée par de longues pointes ornées, inspirées des botas picudas («bottes pointues» en français). L’artiste s’approprie un répertoire de formes familières issues de la culture populaire mexicaine. En détournant des codes vestimentaires, elle révèle leur héritage socioculturel.
Les éléments composant les installations d’Elise ont des formes et des textures qui incitent à les toucher. Dans l’espace de pratique libre, l’artiste propose de créer notre propre monnaie d’échange pour activer un dispositif de troc. Ailleurs, des articles ayant différentes valeurs symboliques peuvent être déplacés le long de courbes en métal qui rappellent des instruments de pesage. Les structures se dessinent et évoluent ainsi sous le poids des objets. Les expérimentations collectives proposées par l’artiste rendent palpable ce que l’anthropologue Arjun Appadurai appelle «la vie sociale des choses[3]». Il s’agit de faire l’expérience de l’importance de l’échange dans nos systèmes de valeur.
Les artistes s’attachent ainsi à montrer que les usages d’un objet sont nécessairement liés à l’environnement dans lequel il est perçu, et influent aussi sur la valeur qui lui est attribuée. Dans cette perspective, le titre de l’exposition renvoie à l’établissement de jeux, un lieu régi par des transactions. «Casino» signifie aussi «petite maison» en italien, ce qui fait écho à l’histoire de la galerie Francval, habitée aujourd’hui par des expériences artistiques et collectives.
[1] Préface de Joëlle Zask, dans John Dewey, Démocratie et éducation, Malakoff, Armand Colin, 2022, p. 35. Ce texte a été publié pour la première fois par Macmillan Publishing en 1916, sous le titre Democracy and Education. An Introduction to the Philosophy of Education.
[2] Ibid.
[3] Arjun Appadurai, The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective, Cambridge University Press, 1986.
Source : Open Agenda
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