Vidéodrame est le nouveau programme du Capc dédié à l’image en mouvement et au film d’artiste. Chaque mois, un film différent sera projeté, insérant un nouveau rythme de programmation dans les cycles temporels du musée.
Niché au deuxième étage du Capc, dans la galerie Arnozan, l’architecture et l’habillage de l’espace ont été pensés par l’artiste et autrice Aria Dean. Au cours de ses recherches, Aria Dean s’est intéressée à l’histoire de l’architecture des salles de cinéma et notamment aux cinémas dits atmosphériques. Ces salles, populaires dans l’entre-deux-guerres aux Ètats-Unis, avaient la particularité d’être ornementées et décorées afin de donner l’impression d’être « en extérieur », jouant de tropes exoticisant pour créer une expérience « totale » du cinéma. Le Grand Rex, conçu par l’architecte Auguste Bluysen (1868 – 1952), en est un exemple français. Malgré la réception critique mitigée de l’entreprise, il inspirera le producteur de films Émile Couzinet (1896 – 1964) à en faire construire un à Bordeaux : le Rex. Inauguré en 1932 à l’emplacement des halles de la barrière de Médoc, ce cinéma cessera son activité en 1976 et sera détruit peu de temps après. Des éléments de son décor intérieur sont aujourd’hui conservés par les Monuments historiques.
À l’issue de cette première phase de recherche, Aria Dean s’est posée la question de son intervention dans ces espaces : comment signifier, aujourd’hui, l’espace de projection, du cinéma ? Comment « augmenter » l’expérience du film ? Le faire sentir autrement ? Ainsi, l’artiste a décidé de scinder l’espace en deux : un couloir et une salle de projection. Elle a aussi fait tapisser les murs et les sols d’une moquette rouge, typique de celle que l’on pourrait trouver dans les salles de cinéma aujourd’hui. Elle a également fait construire une porte entre le couloir menant à la salle de projection, ainsi qu’un banc (lui aussi recouvert de moquette).
Finalement, faisant le pont entre les deux espaces, elle a conçu une installation lumineuse pour le couloir, directement connectée aux films projetés : ce système lumineux répond aux informations « reçues » du film montré – rythme de montage notamment – en instantané. Alors, la cadence des images montrées dans la salle de projection est traduite simultanément par les lumières présentes dans le couloir, faisant ainsi ressentir le film avant et après l’avoir « vu » par des pulsations lumineuses.
Ces lumières sont des références directes aux « étoiles » que l’on pouvait trouver au plafond des cinémas atmosphériques, créant l’illusion d’une voûte céleste dans l’espace confiné de la salle de projection. Ici, les étoiles, tombées et à la luminosité changeante, nous guident d’abord vers la salle de projection puis vers la sortie.
Pour inaugurer ce nouveau programme Aria Dean a également été invitée à présenter son film Suite! (2021).
Aria Dean, née à Los Angeles, produit une œuvre qui trouve son origine dans un projet de critique acérée des systèmes de représentations, incarné par une variété de médiums. Les sculptures, installations, vidéos et textes d’Aria Dean se défient des dichotomies faciles : abstraction et figuration, individuel et collectif… Elles viennent perturber nos idées reçues concernant la race, les relations de pouvoir et la forme.
Préoccupée par l’impact que peuvent et ont pu avoir les objets d’art sur leurs créateurs ou sur leur public, Aria Dean s’efforce de retracer une histoire des innovations artistiques au miroir de positionnements théoriques, du post-structuralisme à l’afro-pessimisme ; non seulement pour mettre en lumière les fondements sociaux et matériels de l’art, mais aussi pour saisir dans quelle mesure le phénomène artistique a influé sur la constitution d’une ontologie de la blackness.
Les provocations qu’elle nous lance, visuelles ou intellectuelles, partent souvent d’oeuvres de figures majeures de l’art contemporain : de Robert Smithson à Robert Morris en passant par Ulysses Jenkins et Lorna Simpson – sans pour autant se priver de les remettre en question. Le minimalisme est, pour Aria Dean, une source d’inspiration particulièrement fertile, elle écrit : « dans la mesure où le minimalisme échappe presque totalement au régime de la représentation pour se plaire à un pur jeu de formes, de volumes, et de densités – c’est comme si j’avais un parc d’attraction pour moi toute seule, sans aucune lumière. »
Tout comme le panel croissant d’objets qu’elle a produits et présentés à l’occasion de manifestations internationales (au Centre d’Art Contemporain de Genève et au Schinkel Pavillon, entre autres), l’oeuvre théorique de Dean, développée dans ses écrits et la revue November, dont elle est cofondatrice, témoigne d’un projet percutant, simultanément enraciné et critique vis-à-vis des structures du monde de l’art où la créatrice évolue.
Commissaire : Cedric Fauq Scénographie : Aria Dean
Lancement de la programmation Vidéodrame, jeudi 6 avril à 19h
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