André Gorz, né en 1923 en Autriche, naturalisé français sous le nom de Gérard Horst, s’installe à Paris à la fin des années 1940.
Il publie Le Traître, une autobiographie en forme de recherche, entre auto-analyse et critique du modèle de société capitaliste, en 1958. Il a fait la rencontre de Sartre en 1946, les deux hommes se lient d’amitié, et Sartre préface Le Traître. Puis il engage Gorz aux Temps Modernes dans les années 1960. C’est le début d’une carrière journalistique qui le mènera à participer à la fondation du Nouvel Observateur. Parallèlement il développe les premières bases de ce qui deviendra l’Écologie Politique et écrit de très nombreux ouvrages autour de la question.
En 2006, il publie, en marge de ses travaux théoriques et politiques, la Lettre à D. une confession à sa femme, Doreen Keir, atteinte d’une maladie incurable.
Un an plus tard, en septembre 2007, André et Doreen sont retrouvés morts, dans leur lit.
La lettre de Gorz raconte l’histoire de son amour avec Doreen, de leurs années de jeunesse et d’engagement politique, jusqu’à leur retrait de la vie publique, du pacte de fidélité qu’ils s’étaient fait, de la nécessité vitale de leur amour, qui les mènera jusqu’à choisir de mourir ensemble plutôt que de survivre l’un à l’autre. Entre dévoilement et pudeur, Gorz nous fait naviguer dans une confession, à la fois hommage et repentance, et nous donne accès à l’intimité d’un amour bouleversant, qui s’inscrit dans une vie entière.
À sa manière, il s’agit d’entrer dans l’intimité d’un couple, pour mieux nous renvoyer à la notre, à nos vertiges amoureux, à nos vides et à nos désirs. Doreen, pourrait être un contrepoint, un éclat, un à-côté, à cette confession rendue publique : le portrait d’une femme que nous imaginons à partir de ce que Gorz nous en dit, et le portrait d’un couple que nous regardons vivre, dans une extrême proximité. Un temps d’arrêt, à l’abri des bruits du monde. D. sera ici Doreen.
Il s’agit ainsi d’imaginer et d’écrire une voix pour elle, qu’à la lecture de la Lettre à D. on rêve plus qu’on ne connaît de la façon dont les évènements poussent à écrire et à créer, et de ce que la fragmentation d’une identité produit.
André et Doreen nous parlent de leur insécurité d’être au monde, à travers les tumultes d’un 20ème siècle qu’ils ont traversés tant bien que mal, indispensables l’un à l’autre. Ils témoignent du lien qui les unit et qui rend leur existence possible. Un homme et une femme aux identités mouvantes, qui vont bientôt mourir : nous sommes en septembre 2007, dans le salon de leur maison, à Vosnon. C’est le soir. Ils ont préparé de quoi manger et nous accueillent chez eux. Dans une heure ils se suicideront... En attendant, ils parlent. Doreen va se mettre à raconter leur amour, on entendra la Lettre, aussi, dans ses mots. Et sans doute qu’André (qui s’appelait en réalité Gérard - André Gorz est le pseudonyme qu’il utilisera pour signer tous ses essais) finira par prendre la parole à son tour. Le réel sert ici de point de départ pour tracer un paysage plus large, au delà d’eux. Il s’agit d’une adaptation, d’une tentative, entre le réel documentaire - l’histoire d’André Gorz-Gérard Horst et de Doreen Keir - et la mise en fiction de la figure de ce couple et de cette femme aimée que nous ne connaissons pas et qui va mourir avec l’homme qui dit lui devoir la vie. Il y aura donc 3 voix : celle de la Lettre à D., celle de Doreen et celle de Gérard.
David Geselson
Source : Open Agenda
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