Les couleurs, pour Antoine Janot, c’est son métier. Encore enfant, avec son père, il a appris à sentir l’odeur de la cuve de pastel, tâter le goût du bain avant d’y plonger le tissu pour le bleuir. Plus tard, il s’est musclé les bras à tourner les lourdes pièces de draps dans les chaudrons bouillants des rougies de cochenille. Alors, en 1741, quand le nouvel inspecteur des manufactures nommé à Saint-Chinian vient lui confisquer une pièce d’écarlate sous prétexte que son rouge est « affamé », Antoine Janot décide de ne pas se laisser faire. Il rédige un mémoire pour expliquer comment il obtient toutes ses couleurs, il y colle 59 échantillons des nuances décrites et il l’envoie à Montpellier, à l’Intendant représentant le Roi en Languedoc, avec une lettre dénonçant les abus de pouvoir de l’inspecteur.
Pavé dans la mare. Les remous provoqués vont le faire repérer dans les cercles du pouvoir, et jusqu’à Versailles, comme un « aventurier sujet à caution, aussi inquiet, aussi haut et aussi dangereux qu’il est bon teinturier ».
Le mémoire, trésor enseveli dans les archives de l’ancienne province de Languedoc à Montpellier, vient d’être édité : c’est le plus ancien ensemble connu de recettes de teinture des draps de laine, illustrées d’échantillons de toutes les gammes de coloris grand teint que l’on peut obtenir avec les colorants naturels. Dans l’esprit des Lumières, Antoine Janot voulait ainsi, en partageant son savoir, contribuer à « la perfection de l’art de la teinture ».
Dominique Cardon a entrepris de mettre en lumière la vie et l’œuvre des grands teinturiers qui, par la beauté et la solidité de leurs couleurs, assurèrent au XVIIIe siècle le triomphe des draps du Languedoc dans toutes les Echelles du Levant et jusqu’aux confins de l’immense Empire ottoman, contribuant ainsi à l’essor économique et social de la province.
Aujourd’hui, les recettes et les gammes colorées des échantillons laissés par ces artistes de la teinture avec les colorants naturels sont devenues, grâce à ces publications, des sources d’inspiration pour les teinturiers, coloristes et designers impliqués dans l’émergence d’une nouvelle conception de la mode, une Slow Fashion éthique et soucieuse de développement local durable.
Source : Open Agenda
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