À l’orée des années 90, formé à la célèbre école Sir J.J. School of Art de Mumbai, Atul Dodiya est envoyé pendant un an l’école des Beaux-Arts de Paris. Ce séjour se révèlera déterminant pour l’artiste qui depuis près de trente ans tisse des liens entre art indien et occidental. Passionné de littérature et de cinéma, il déploie un langage unique, tantôt figuratif, tantôt plus abstrait, où il incorpore références à la culture populaire, à la poésie, ou aux grands maîtres de l’art moderne – de Matisse à Motherwell en passant par Picabia ou Mondrian. Doué d’une étonnante capacité à se réinventer, son style s’empare indifféremment d’une peinture photo-réaliste ou plutôt symbolique. Il déploie sa peinture sur des rideaux de fer mécaniques, crée des assemblages photographiques ou invente de larges installations mêlant objet et peinture. En filigrane, ses œuvres témoignent d’une réflexion sur l’histoire de l’Inde et l’émergence de nouvelles aspirations politiques.
L’exposition prend ainsi pour point de départ le cinéma de Bombay des années 1960, celui qui a marqué l’enfance de l’artiste. Le titre « I know you. I do. O’ stranger » est notamment inspiré du film Charulata (1964) de Satyajit Ray. Les scènes choisies, faussement anodines, sont le fruit d’une composition complexe dans laquelle la célébrité de l’acteur s’éclipse au profit de l’anonymat. « Un thème récurrent dans mes récits cinématographiques » explique l’artiste, « les personnages se rencontrent souvent comme des étrangers. » Hors de tout contexte narratif, leur beauté mystérieuse se révèle, laissant le spectateur libre d’en interpréter la signification. À la manière d’un cinéaste, d’une toile à l’autre, Atul Dodiya promène notre regard à travers l’espace. Si certains fragments de pellicule semblent rendre hommage aux prouesses techniques du cinéma, d’autres mettent en évidence, à travers un univers recréé de toute pièces, l’émergence d’une nouvelle société de consommation, avec ses meubles et ses décors sophistiqués.
Derrière une apparente économie de moyens se cache une technique de peinture exigeante et minutieuse. Dans un premier temps, Atul Dodiya transforme des photographies d’arrêts sur image en une première impression monochrome. Projetée sur toile, la scène voit ses contours repassés en noir et blanc avant que le clair-obscur ne vienne transcender le mouvement. Il achève la métamorphose de l’image en la couvrant d’une peinture à l’huile translucide, troquant ainsi la palette chatoyante du cinéma bollywoodien pour une chromie pastel, presque évanescente. Cette mue de l’image filmée, photographiée, illuminée, colorisée, devient une métaphore de l’impact de la modernité et de la globalisation sur le regard et les traditions. « Dans cette sélection toute personnelle de moments cristallisés » poursuit-il « l'irréel devient une nouvelle histoire, une autre vérité. »
Source : Open Agenda
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