En Arabe, un seul et même mot désigne la maison et le vers poétique : «Bayt». Nous avons fait ce film autour de cette idée, car nous vivons dans les poèmes de Mahmoud Darwich, ils font partie de notre vie, comme l’exil.
Darwich est l’un des plus grands poètes arabes contemporains. Pour nous, qui vivons la tragédie moyen-orientale au quotidien, il est à la fois une référence morale et une voix amie, familière. Il est cet enfant traumatisé, jeté sur les routes de l’exil lors de l’exode palestinien de 1948, qui réinscrit par la poésie le nom de son village détruit sur la carte du monde. Mais il est aussi celui qui interpelle l’autre, lui parle et recherche l’humain en lui.
On a de la peine à s’imaginer, en Occident, l’immense ferveur populaire qui entoure les grands poètes en Orient. Dans le monde arabe, non seulement on lit plus de poèmes que de romans, mais aussi la poésie est un Art vivant, déclamé en public par ses auteurs. C’est pourquoi nous avons voulu faire un film qui soit plus qu’un portrait biographique de Mahmoud Darwich : notre ambition était de faire partager l’émotion intense née de ses mots, de ses métaphores, de son rythme inimitable. Nous avons conçu ce film autour de sa voix, et nous lui avons emprunté la cadence .
Nous n’avons pas interrogé de témoins, ni de spécialistes. Nous lui avons laissé le soin de se raconter lui-même, car nous pensons qu’il est le meilleur critique de lui-même, de son œuvre et de sa vie, de son déchirement entre l’intime et le collectif, le classicisme et la modernité, la mémoire et le présent. Notre homme étant perpétuellement en voyage, nous avons suivi sa valise à la trace, de Jordanie en Cisjordanie, de Paris à Tunis, du Caire à Beyrouth. Nous avons filmé le poète dans son errance, mais aussi nous avons filmé son absence. Nous avons filmé sa Galilée interdite comme il la chante. Nous avons voulu filmer l’exil, et la poésie qui jaillit de l’exil.
En appelant ironiquement tous les patriarches, les saints, les prophètes et les conquérants de l’histoire au chevet de sa terre promise et perdue, Darwich a créé une Andalousie moderne, pétrie d’humanisme et de tolérance, mais aussi d’impertinence et d’érotisme. Une Andalousie qui n’est plus un lieu ni un âge d’or révolu, mais un état psychologique et une esthétique contemporaine. « Les prophètes sont tous des miens, mais le ciel est loin de sa terre, et je suis loin de mes mots... » C’est cette élégance nomade, qui apparaît dans chaque strophe d’un recueil ouvert au hasard, que ce film a l’ambition de faire connaître, et aimer.
Mahmoud Darwich déteste les caméras. Nous savions sa timidité, mais nous avons relevé le défi en toute simplicité et en toute amitié : celle qui nous lie depuis de longues années, et celle que chacun de nous deux s’honore de partager avec lui. Sans cette complicité, la tâche aurait été impossible.
— Simone Bitton et Elias Sanbar
Source : https://www.forumdesimages.fr/mahmoud-darwich-et-la-terre-comme-la-langue
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