20h Première Partie - Atelier de l'IMFP
Restauration possible
21h Duo Olivier Ker Ourio / Manuel Rocheman
Un ami offrit un jour à Olivier Ker Ourio « Affinity », le sublime album que Bill Evans enregistra en 1978 avec Toots Thielemans. Cette découverte fut décisive dans sa vie de jazzman et joueur d’harmonica chromatique. « Je reçus à son écoute une claque himalayesque, se souvient-il. C’est par ce disque que j’ai vraiment découvert l’harmonica jazz et toutes ses possibilités. Devant un tel Everest, j’ai failli arrêter la musique. Quelques jours plus tard, je me suis ressaisi en me disant que si Toots avait gravi un tel sommet, il y avait pour moi un chemin possible, une lumière au loin sur cette voie escarpée. Depuis lors je me suis attelé à la tâche en cherchant à trouver ma propre voix. » En transformant le plus enfantin et ingrat des instruments en un orgue à bouche par lequel l’harmonie « respire » naturellement, dans le sillage de son Maître mais en sachant se démarquer de son influence, Olivier a réussi son pari : trouver sa voix en jouant de son « chrome sandwich » (comme se plaisait à le nommer l’Oncle Toots) avec autant de souplesse et facilité qu’un grand saxophoniste, avec un sens harmonique très sûr, une sensibilité lyrique affirmée (« jouer de l’harmonica, c’est être quasiment chanteur ») et beaucoup de feeling.
Au départ ces bandes enregistrées sur le vif dans la chaude intimité d’un club (le Petit Duc à Aix-en-Provence, lieu très convivial animé par Gérard Dahan et le Hot Club de Lyon, présidé par Ludwig Laisné) n’avaient pas vocation à être un jour publiées. C’est à leur réécoute qu’Olivier et Manuel se sont convaincus qu’il était temps d’en faire un disque qui témoigne de leur entente mutuelle et d’un compagnonnage de plus de trente ans. Une évidence : le public par la qualité de son écoute est ici essentiel dans la réussite de leurs libres échanges. Sa présence proche et son attention bienveillante stimulent en retour les deux amis pour porter la musique à un degré d’incandescence plus élevé, inattendu.
« On ne s’accorde musicalement que si d’abord on s’accorde humainement». On peut compléter cette parole de Manuel par cet apophtegme de Cioran : « Je crois que la musique est vraiment le seul art capable de créer une complicité profonde entre deux êtres. » Qu’est-ce que l’affinité ? Une forme intime de voisinage (affinitas en latin) qui exprime un puissant degré de proximité à l’autre avec qui on a le bonheur de partager une communauté de goûts. C’est précisément ce qui se passe tout au long d’« Affinities ». Double entente, connivence, complicité, relation quasi télépathique, libre circulation des énergies, même longueur d’ondes, tels sont les mots et expressions qui caractérisent les affinités qui relient Manuel et Olivier dans leur amicale conversation. Cela donne, sans le soutien d’une section rythmique, un dialogue en toute confiance, sans filet ni artifice, jamais duel, où les deux complices ne s’autorisent aucune fuite de présence. Ici l’échange ne se réduit jamais à une simple suite de répliques, mais se vit dans le mouvement même de la musique. En même temps, sur le fil de l’instant, ils s’écoutent, ils se parlent, bref ils s’entendent à merveille. Toujours aux aguets, le pianiste accompagne, anticipe et prolonge avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité le chant ondoyant d’Olivier. C’est que Manuel connaît bien l’art de poser les notes justes, de placer les accords exactement là où l’harmoniciste a besoin de faire respirer ses phrases. Par la variété du timbre et de ses effets, par ses élégantes glissades et feulements sensuels (« une sorte de miaulement roucoulé » selon cette belle formule empruntée à Colette), par la fluidité de son phrasé et la précision de sa mise en place, le jeu de Ker Ourio s’affirme au fil des plages au diapason de celui de Rocheman.
Le répertoire, depuis longtemps rôdé en club, reflète ici parfaitement l’amour des deux amis pour des mélodies riches et stimulantes pour l’improvisation. Au menu, deux titres déjà présents dans « Affinity » en 1978 : I Do it for Your Love, sublime mélodie infectieuse signée de Paul Simon et The Days of Wine and Roses de Henry Mancini. Leur écoute comparée s’avère un bon test pour vérifier que les versions que nous offre ici le duo « Affinities » ne sont en rien le copier-coller des celles de Bill et Toots. Plutôt une nouvelle visite en forme de prolongement original. En plus de titres de la plume de Dave Brubeck, Wayne Shorter, Michel Legrand et Serge Gainsbourg, chacun des deux compères a choisi de partager sa composition fétiche. Pour Manuel, c’est le magnifique Just Love précédemment publié en solo sur le disque « At Barloyd’s » en 2021 et « Paris-Maurice » avec Nadine Bellombre en 2013. Cette composition a décidément tous les atouts pour devenir un standard. Pour Olivier, c’est Siroko, thème entêtant déjà enregistré, entre autres, avec Ralph Towner en 2005 dans un album éponyme et avec Emmanuel Bex en 2014 dans « Perfect Match ». Au final, tout cela donne un album surprenant, vivant, subtilement « cultivé » à écouter et réécouter jusqu’au bout de la nuit. Et plus si affinités… Pascal Anquetil
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