De 20h00 à 21h30
25 € plein tarif. Détails des tarifs sur le site du TNP.
Une nuit de pluie, un homme s’avance. Son corps ruisselle. Il croise un autre homme, au coin d’une rue. Il lui demande du feu, mais n’a pas de cigarette. Il voudrait lui payer une bière, mais n’a pas assez d’argent. Il cherche une chambre pour passer la nuit. Il est un peu ivre. Il parle et tente de retenir cet inconnu. La Nuit juste avant les forêts est une seule et longue phrase ; un unique souffle pour dire la marginalité, la violence, l’exclusion. Dans une cavalcade de mots qu’il déroule comme un ruban, l’homme en scène se remémore des épisodes fragmentés de son existence. Il parle de désir, de fuite, de solitude, de manque de travail et de sang. Il n’est ni tout à fait d’ici, ni tout à fait étranger. Tordu par le monde et ses brutalités, il se tient debout face à la nuit. Lui qui aurait de bonnes raisons de se plaindre cherche plutôt de bonnes raisons d’espérer et de se battre. Son poème est fait de lumière, celle-ci même qui sort du noir : vitale, pugnace et irradiante. Sur le plateau, une forêt de piliers de béton rappelle les lieux convoqués par le texte : un quai de métro, un hall de gare, un terrain vague ou un parking. Les accords tendus d’une sonate baroque vibrent le long des voûtes souterraines, échos de la rumeur urbaine. Comme un signal qui clignote dans les entrailles de la ville, la voix qui s’élève hypnotise. L’écriture est viscérale et sèche ; le rythme s’emballe, à toute vitesse. Datée de 1977, cette œuvre de jeunesse de Bernard-Marie Koltès annonce déjà le hangar où survivent les personnages de Quai Ouest ou le dialogue impossible qui fonde Dans la solitude des champs de cotons. Il formule le cri des laissés-pour-compte d’hier et d’aujourd’hui et rappelle que si l’histoire est toujours la même, et qu’elle est injuste, il faut la redire, toujours. Depuis 2019, Matthieu Cruciani dirige avec Émilie Capliez la Comédie de Colmar – Centre dramatique national Grand Est Alsace. Son théâtre a le souci de la parole et des acteurs, à l’image de cette création magnifiquement habitée par Jean-Christophe Folly. Après Salade, tomate, oignons, présenté en 2022, l’acteur revient au TNP avec ce monologue magistral. Sa présence magnétique nous conduit aux confins d’une humanité rongée par son époque ; une humanité en mal de fraternité et en quête d’amour.
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