Le 17 octobre, Streetpress révélait que la mairie de Saint-Denis avait fait l'achat (pour 118.000 euros) d'un logiciel de vidéo-surveillance algorithmique israélien et prévoyait d'en faire usage sans en avoir informé la population. Il est à noter que ce projet est parfaitement illégal – ce qui n'empêche pas le moins du monde la mairie de procéder comme si de rien n'était. Loin d'être une anomalie, l'histoire de Saint-Denis est une illustration parfaite de la façon dont les technologies de surveillance et de contrôle ont discrètement proliféré au cours des dernières années. Une prolifération que Félix Tréguer nous permet de comprendre. Mêlant carnet d'enquête, retour historique et approche sociologique son livre dessine les contours d'un véritable complexe technico-sécuritaire impliquant une coopération fine entre public et privé, civil et militaire.
Des couloirs feutrés de la commission européenne en grands salons du secteur regroupant industriels, scientifiques et responsables politiques Tréguer retrace comment ces technologies nous ont été imposées. Subventions de toutes sortes (fonds d'investissement européen et BPI en tête), allègements réglementaires (formule pudique renvoyant à un droit à l'illégalité), accès aux données publiques pour l'entraînement des algorithmes...
Ce soutien actif de l'Etat s'explique en ce qu'il voit dans ces technologies la prochaine étape dans le développement inéluctable de son pouvoir cybernétique, le prochain saut dans sa capacité à surveiller et punir. En retour, ce complexe techno-sécuritaire a des effets sur le fonctionnement de l'Etat : besoin d'opacité, extension du domaine de l'arbitraire administratif, contournement systématique des libertés individuelles. En bref, érosion des quelques lambeaux d'Etat de droit qui perduraient, c'est-à-dire accélération du processus de fascisation.
Assistant à un séminaire où les différents intervenants lorgnaient goulûment sur le crédit social chinois, tout en se défendant de vouloir reproduir un tel système totalitaire, Tréguer constate, laconique: « Ils se font croire qu'ils croient encore en la démocratie. »
Tréguer entretient par ailleurs une posture auto-critique bienvenue. Le livre pose de manière assez lucide les limites de l’approhe légaliste de la Quadrature du Net. Difficile, en effet, d’enrayer la fascisation de l’Etat par des recours administratifs quand c’est l’idée même d’Etat de droit qui s’effrite. Sans vouloir déserter entièrement ce terrain (tout retard infligé à l’ennemi - même temporaire - étant bon à prendre), il pose la question de l’articulation de ces stratégies avec d’autres modes d’actions plus offensifs. Une articulation qu’il nous faut encore trouver pour enrayer la techno-police.
0 Commentaire Soyez le premier à réagir