Dans les rues du Burkina Faso, résonne à tout bout de champ « ka nana ye », qui signifie « c'est pas facile », tout en sous-entendant que « ça va aller ». Avec l'album Kananayé, dont le titre reprend cette philosophie populaire, ça ne peut qu'aller. Son multiculturalisme fondateur, ses paroles conscientes, ses traditions enchevêtrées et son ancrage contemporain sont même des propriétés indispensables par les temps qui courent, alors que l'optimisme est devenu une vertu de survie.
Le projet franco-burkinabé a germé à Bobo-Dioulasso en 2019, à l'occasion du festival Badara qui prône un enrichissement mutuel des artistes nationaux et étrangers. Lors des jams interminables qui prolongent chaque soirée du festival jusqu'au bout de la nuit, une alchimie se produit, dans les effluves de poulet bicyclette arrosé de bières Brakina. La magie qui opère est propre aux coups de foudre musicaux. On n'explique pas autrement la fusion réussie entre ces personnalités de premier plan, pour la plupart engagées dans des carrières internationales.
D'abord constituée par Clotilde Rullaud (voix, flûte), Abdoulaye « Debademba » Traore (guitares) et Achille Nacoulma (batterie, percussions, voix), la formation est devenue un quintet avec l'apport de Seydou « Kanazoe » Diabate (balafon, percussions, voix) et de Boubacar Djiga (kunde, percussions). Ces instrumentistes virtuoses, aussi brillants mélodistes que rythmiciens, héritent des griots et des traditions ouest-africaines, tandis que Clotilde Rullaud est pétrie de jazz et d'improvisation.
De concerts en résidences, de Bobo à Paris, le répertoire de leur premier album Kananayé, s'est constitué sur des textes en français, dioula, more et anglais. Enregistré par Peter Soldan aux Dada Studios à Bruxelles, par Kaskade au Studio Hanou à Bobo-Dioulasso, puis mixé et masterisé à New York, il est formé de sept compositions originales, en plus d'une reprise du traditionnel américain Sea Lion Woman que sublima Nina Simone. De la ballade à la transe, raffinées et lumineuses, ces chansons se projettent dans les musiques actuelles tout en étant profondément enracinées. Le projet tisse les fils de plusieurs traditions et tresse les pratiques rurales séculaires avec les tendances des grandes métropoles modernes.
Tantôt vibrant, poignant ou festif, toujours solaire, l'album respire la joie que ses participants éprouvent de jouer ensemble. Mais le groupe est aussi foncièrement militant, puisque ses cinq membres célèbrent la beauté des métissages et revendiquent la liberté des artistes du monde entier de se déplacer, de se rencontrer et de créer, à une époque où la délivrance des visas est entravée par des politiques nationalistes. Décidément, « ka nana ye » ! C'est pas facile, mais ça va aller.
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