Anton Tchekhov, Lika Mizinova, 10 ans de correspondance. Ils se plaisent, se désirent, se titillent, s’agacent, se manquent. Elle se verra figurer dans la Mouette sous les traits de Nina.
Il existe 64 lettres de Tchekhov à Mizinova et 98 d’elle à lui.
Les lettres de Mizinova n'avaient jamais été traduites en français. Je m'y suis attelé, comme à celles de Tchekhov.
Le texte sera une adaptation de fragments de cette correspondance, comme de fragments de la Mouette (deux scènes du quatrième acte).
Mizinova fut un des « amours » de Tchekhov. On les maria presque. Si Tchekhov est bien dans cette correspondance l’écrivain prodigieux et drôle que l’on connait, Mizinova nous retient par son ton revendicatif, douloureux, espiègle, moderne.
Il lui écrit : « C’est avec plaisir que je vous ébouillanterais… », et elle à lui : « Je vous donnerais une bonne talouche ! ».
Quelque chose les rapproche, une certaine distance intérieure, une gai mélancolie…
Traduisant Tchekhov et Mizinova, je suis tombé, à la façon de Roland Barthes, amoureux de leurs phrases et amoureux de leur amour – vif, touchant et raté, comme se doivent de l'être les amours. Amoureux de la maladresse de Mizinova, de l’ironie de Tchekhov, de ses reproches à elle, de leur timidité et leur effronterie.
Allégresse, férocité, joie, tragédie, bavardages, propos amoureux mais aussi une ouverture sur l’atelier de l'écrivain, voici ce qu’on trouve dans cette correspondance qui donne de La Mouette comme de son auteur une singulière vue en coupe, les éclairant tous deux d’une vive lumière.
Sous cette lumière, La Mouette - sans rien perdre de sa complexité ni de son mystère, gagne quelque chose d’infiniment concret.
Au cours de ce travail, il m'est arrivé de penser à la réaction des personnages, au quatrième acte de la pièce, lorsque Treplev fait le récit de la vie tragique de Nina, que nul ne semble s’en émouvoir : "J’en ai été un peu amoureux" dit l’un, "Elle avait donc du talent" dit l’autre. Le tout se noyant dans un lac d’indifférence. Il m’a semblé qu’il y avait là, quelque chose du secret de la poétique de Tchekhov.
Il m'est arrivé de penser aussi au baiser de Nina et Trigorine à la fin du 2ème acte, puissant mais rare et fugace moment de bonheur dans la dramaturgie Tchekhovienne.
Ce sera donc un spectacle "d’amour raté" où passeront quelques fantômes, celui d'un enfant, celui de la littérature, celui peut-être aussi de cette "promesse de bonheur " que Stendhal voyait dans les œuvres.
Tout y sera au plus simple, au plus vivant, au plus proche. Sans tralala d'époque, sous des lumières presque crues. Un homme, une femme sur une scène tendues de bâches plastiques barbouillées, dans des limbes. On y esquissera quelques pas de danse sur du Arturo Marquez, du Franck Zappa, quelques notes d'une romance de Tchaïkovski.
Source : Open Agenda
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