L’Établi est une épopée. Dix mois intenses d’immersion. D’autres mois pour digérer, et écrire. Puis le silence, des années durant.Se souvenir du bruit, même en dormant. Les gestes répétés, les paroles d’ouvriers, et la solitude, la saleté, le pognon et tout le reste. Paris, ses banlieues toutes neuves, et l’avènement d’une société de loisirs. Après mai 68, que Robert Linhart a passé à l’hôpital, les pavés sont retombés et il a fallu retranscrire, réfléchir, proposer cette autre société. Il a fallu rapprocher les générations, les cultures. Et le « vivre ensemble » s’est construit sur les ruines de mai 68.De l’Université Paris-Vincennes – dont la fille de Robert Linhart, Virginie, a tiré un documentaire édifiant – à l’émergence d’un nouveau cinéma, démocratisé, et de formes théâtrales innovantes (les débuts de la Cartoucherie, de la décentralisation, la naissance des Maison de la Culture, comme celle d’Amiens, inaugurée par André Malraux), le monde ouvrier et ses enfants accèdent peu à peu à une instruction alternative, et trouvent dans les fanzines d’humour ou autres cahiers étudiants (comme celui que fonde Robert Linhart à Ulm) comme un prolongement énervé des pensées à chaud, de la parole de la rue. Pas de récupération. Une écriture radicale. Des vraies manifs.
Dans le creuset d’émotions que suscite mai 68 et la décennie qui va suivre, il y a aussi beaucoup d’espoirs, dont certains sont déçus aujourd’hui.Robert Linhart est un mystère. Un écrivain qui a vécu de l’intérieur et retranscrit cette période et l’engagement singulier des « établis ». Son roman, qui lorgne aussi vers l’essai économique et sociologique, est une photographie toujours juste des luttes ouvrières, et pose un regard jamais égalé sur la dualité des sentiments dits de « classes ». C’est le livre ultime, qui rassemble autant qu’il divise, et que même son propre auteur rechigne à évoquer. C’est un bouquin sur la vraie vie des vrais gens, ceux de la grande couronne autour de Paris : les immigrés, noirs, arabes, portugais, polonais, qui cohabitent avec des titis parigots, et qui parlent de leur pays, et du nôtre, de leur époque, comme de la nôtre.Quarante ans après les choses ont changé. Il nous appartient de rendre compte d’une époque passée, révolue, hésitante, dans une époque résignée, plombée par des années d’expérience du capitalisme.
Sur scène, il y aura ce narrateur. Trois ou quatre acteurs, pour l’aider à (se) jouer (de) tous les autres : les ouvriers, les petits patrons, la société. Quelques archives et beaucoup de matière sonore, autour de la musique de Toskano et Vadim Vernay, qui sera jouée live. Comme un bruit de fond, persistant, qui empêche la concentration, qui mine le recul nécessaire pour ne pas devenir fou, usé, obsolète. A travers des projections de photos, de documents d’époque, de vidéos subjectives, nous aborderons L’Établi comme un terrain à explorer, avec le souci constant de ne pas nous positionner avec ce recul arrangeant, aujourd’hui vieux de quarante ans, qui pourrait dogmatiser le propos. Respecter le rythme de l’époque, propre au sociologue dissimulé. Il faut vivre le spectacle comme quatre mois de questionnements et d’étonnements, jour après jour, comme un tunnel d’expériences humaines, avec les machines, avec les horaires, le rendement et la cadence.
La musique nous aidera à boucler ce périple en terrain inconnu, pour opposer au silence de Robert Linhart une pulsation de Spoutnik, industrielle, persistante et familière.
Auteur : Robert Linhart
Adaptation : Marie-Laure Boggio, Olivier Mellor
Mise en scène : Olivier Mellor
Avec:
-Comédiens : Emmanuel Bordier, François Decayeux, Hugues Delamarlière, Hakim Djaziri, Romain Dubuis, Eric Hémon, Séverin Jeanniard, Olivier Mellor, Stephen Szekely, Vadim Vernay, avec la participation de Marie-Laure Boggio et Caroline Corme et la voix de Robert Linhart -Musiciens : Romain Dubuis, Séverin Jeanniard, Olivier Mellor, Vadim Vernay
Musiques additionnelles : Gnossienne n°1 d'Erik Satie, Alone again de Gilbert O'Sullivan
Scénographie : Olivier Mellor, Séverin Jeanniard, François Decayeux
Construction décor : Collectif la Courte Echelle
Lumières, régie lumière : Olivier Mellor
Son : Benoît Moreau, Vadim Vernay
Régie son : Benoît Moreau
Vidéo : Mickael Titrent, Ludo Leleu
Régie vidéo : Mickael Titrent
Costumes : Marie-Laure Boggio, Caroline Corme
Graphisme : Chadebec, Philippe Leroy
Production : Cie du Berger, Centre culturel Jacques Tati d'Amiens
Durée : 1h30
Représentations :
Du 23 au 28 juin 2020
Du mardi au samedi à 20h30
Samedi et dimanche à 17h
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